Abou El Kacem Chebbi

Abou El Kacem Chebbi est l’un des poètes les plus célèbres de la littérature tunisienne moderne en arabe. Il est né probablement en 1909 à Tozeur (Tunisie), dans une famille noble qui compte de nombreux lettrés. De 1910 à 1929, son père, ancien élève de la Zitouna et de l’Université d’El Azhar du Caire, est cadi dans plusieurs localités du pays. Son fils, lui emboîtant le pas, suit un enseignement religieux dans les écoles coraniques (Kottab) de Gabès, Thala, Medjez el-Bab et à Ras Jebel. En 1920, il est admis à la Zitouna. Il y étudie durant huit ans, l’arabe, le Coran, les sciences islamiques et la poésie musulmane. En 1928, il intègre l’Ecole de droit de Tunis. De santé fragile, résidant dans des médersas, loin de sa famille, il vit dans des conditions précaires.
En parallèle à ses études, Chebbi fréquente la bibliothèque de la Khaldouniya, société savante fondée en 1896, et le Club littéraire des anciens du Collège Sadiki qui le familiarisent avec le romantisme européen (Goethe, Lamartine, Ossian, Vigny) à travers les traductions arabes, avec Taha Hussein, Jabran Khalil Jabran… C’est dans ce milieu bouillonnant qu’il se lie d’amitié avec de jeunes intellectuels bilingues, modernistes, réformateurs, prompt défenseurs du nationalisme, tels que le syndicaliste Mohamed Ali, Tahar Haddad, Mohamed Helioui, Zine el-Abidine Senoussi, Othman Kaâk, Mustapha Khraïef…
Chebbi aligne des rimes depuis l’âge de 14 ans, chantant l’amour et la nature. Un été à Ras-Jebel lui inspire en 1924 le poème Ô Amour :

Amour tu es la cause profonde de mon épreuve,
De mes soucis, de mon émoi, de mes peines…
Amour, tu es le secret de mon existence, de ma vie,
De ma dignité, de ma fierté.

Des journaux se font écho de ses écrits, le supplément littéraire du journal En-nahdha par exemple. L’éditeur Senoussi, qui tient dans son imprimerie un cercle littéraire dont Chebbi est un habitué, publie en 1928 une anthologie de la littérature tunisienne contemporaine dont 30 pages sont consacrées à 27 des poèmes du jeune prodige.
Son unique recueil Aghani el-Hayet (Les chants de la vie, Odes à la vie ou Cantines à la vie selon les traductions), qui rassemble l’ensemble de sa production et qu’il n’a pas pu publier de son vivant faute de moyens – il ne paraîtra qu’en 1955 –, célèbre l’amour de la vie, la liberté, avec une sensibilité et une rythmique inégalables, et dénonce la tyrannie, la guerre, l’injustice. "Sans avoir jamais parlé de colonialisme, il est devenu le symbole de la libération des peuples"  souligne le professeur d’arabe à la Sorbonne, Ameur Ghédira.